Site icon Sud Quotidien

« A bas l’intelligence ! » Par Fadel Dia

« A bas l’intelligence ! ». C’est l’apostrophe provocatrice que le général franquiste Millan Astray avait lancée au philosophe et poète Miguel de Unamuno pour lui signifier le mépris qu’il avait pour les intellectuels et de manière générale pour les hommes et femmes de culture soucieux de justice et d’équité. On ne pouvait pas imaginer que près de 90 ans plus tard, le chantre du « Make America Great Again », Donald Trump, allait contre toute attente reprendre ce slogan à son compte et s’attaquer au vrai soft power des Etats-Unis : leurs universités et centres de recherches, leurs musées, leurs bibliothèques, les piliers de leur démocratie et pour tout dire aux temples de l’intelligence.

Haro sur les universités

Donald Trump a donc lancé sa tronçonneuse contre la principale réserve mondiale de Prix Nobel : les grandes universités américaines contre lesquelles il a mené une violente campagne de dénigrement en les accusant d’être les foyers de l’anti-américanisme. Il s’est livré à des actes de chantage en menaçant de suspendre, voire de supprimer, les subventions que leur accordait le gouvernement fédéral et qui sont essentielles à leur fonctionnement. Son objectif c’est de leur retirer toute initiative dans ce qui fait leur force et leur originalité : leurs domaines de recherches, les disciplines qu’elles enseignent, le profil et la provenance de leurs professeurs et de leurs étudiants. Certaines ont tenté de lui résister en prenant des risques, comme Harvard, d’autres ont fini par céder, comme Berkeley qui a accepté de transmettre à son administration une liste de 160 professeurs et étudiants suspectés, sans preuves, « d’actes présumés d’antisémitisme » !

les bibliothèques, les musées…

Qui n’aime pas l’université ne peut que détester les livres et il n’est donc pas étonnant que Trump et ses admirateurs, à défaut d’organiser des autodafés, se soient acharnés à censurer les bibliothèques publiques et scolaires afin de les débarrasser de tous les livres qui ne participent pas à la glorification de l’histoire et du mode de vie américains.

Les premières cibles sont tout naturellement les livres dont les auteurs sont des Afro-américains (Toni Morrison, James Baldwin…) ou ceux qui sont consacrés ou ont pour cadre la société esclavagiste américaine ou la répression de la résistance des Amerindiens. Aucune raison précise n’ayant été fixée, le nettoyage n’a pas épargné les ouvrages sur le genre ou le féminisme, la violence systémique, la répression coloniale, les études africanistes ou l’Asie et le monde islamique…

Comme la bêtise n’a pas de limites et que le ridicule ne tue pas, Shakespeare, Tolstoï, et même Anne Frank…sont désormais mis à l’index au pays de Donald Trump et la brutalité de cette censure a poussé certains à créer des librairies et des bibliothèques sanctuaires pour que les Etats-Unis ne ressemblent pas au pays décrit par Ray Bradbury dans « Fahrenheit 451.

Les musées, les galeries, les institutions culturelles, qui sont les bibliothèques des arts, les radios et les télévisions sont elles aussi dans le collimateur de Trump et de ses relais dans les états américains. Ici aussi la tronçonneuse a fonctionné à plein régime, contre les établissements accusés de propager une « idéologie anti-américaine » ou de diffuser des récits ou des images présentant une Amérique oppressive.

Le contenu des musées et des parcs a été passé à la serpillère pour effacer les traces laissées par l’esclavage, l’extermination des peuples premiers ou les conséquences d’une industrialisation sauvage …Désormais, dans certaines contrées américaines, les radios et les télévisions tiennent toutes le même langage et Trump tente de bouter hors du paysage audiovisuel les « late shows » les plus populaires et les plus irrévérencieux à son égard.

Retour au fascisme             

Donald Trump ne cherche pas seulement à dynamiter l’ordre mondial. Comme le montre son dernier show à la tribune des Nations-Unies, il vise aussi à donner un nouveau visage à la société américaine. Il veut forger un nouveau citoyen, un homme blanc (car il se soucie peu du sort des femmes), un chrétien extrémiste aux muscles saillants et à la mâchoire carrée, toujours armé de son fusil et toujours prêt à tirer. Un Américain qui se passerait bien de Linus Carl Pauling, de William Faulkner ou de Jean-Michel Basquiat.

Le combat qu’il mène contre le monde scientifique et culturel américain, qui est de la même nature que celui qu’il a entrepris contre le reste du monde est un combat pour la célébration d’un nationalisme conservateur et xénophobe, un combat contre les élites, les institutions, les idées progressistes, les étrangers, les femmes, les minorités, les violences extrêmes, les défenseurs du climat, un combat contre le droit à l’expression.

Ses excès, ses retournements de veste, son narcissisme, le lamentable discours qu’il vient de tenir devant ses collègues chefs d’Etat et qu’aucun d’entre eux ne peut se permettre, mettent à mal la crédibilité de son pays. Ses concitoyens, ceux qui comme l’ancien directeur du FBI, James Comey, refusent de céder à la peur, peuvent lui pardonner ses attaques contre l’intelligence, dont il n’est pas le parangon (sauf en affaires), mais un jour viendra où ils ne pourront plus tolérer ni ses attaques contre la raison, car « il n’est pas pire intolérance que celle contre la raison », ni la situation dans laquelle il plonge leur pays…

Comment cela s’appelle-t-il  en effet quand dans un pays des hommes et des femmes, souvent les meilleurs dans leurs profession, sont condamnés sur la base d’allégations non vérifiées et chassés de leurs lieux de travail, que le droit à l’expression est refusé… au nom du droit à l’expression, qu’un chef d’Etat se vante d’avoir bombardé un état avec lequel il n’est pas en guerre et estime que tout doit être réglé par le feu et l’épée et que la loi du plus fort doit toujours l’emporter, qu’il  gouverne par la menace et le chantage et exprime publiquement sa haine contre une partie de ses concitoyens, qu’il préside une messe christique pour glorifier un complotiste, misogyne et raciste  qui regrettait que l’esclavage ait été aboli ? Cela s’appelle du fascisme à l’ancienne ! Et quand ce pays est le plus riche et le plus puissant du monde, et c’est en cela que nous sommes concernés, alors on peut se demander si la démocratie a encore de beaux jours devant elle…

A moins que la transition n’ait déjà commencé puisqu’on nous apprend qu’un penseur politique a déjà échafaudé les bases d’un régime post démocratie qui ferait de Donald Trump le « Roi des Amériques », de Hawaï au Groenland !

Quitter la version mobile