
La question de la qualité de l’eau souterraine refait surface au Sénégal, notamment dans les régions de Mbour, Fatick, Thiès et Kaolack. Dans ces zones, les concentrations de fluor atteignent des niveaux alarmants, bien au-delà des normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Des chercheurs alertent sur les conséquences sanitaires de cette exposition prolongée, particulièrement dans les localités de Mbour, Fatick, Thiès et Kaolack. C’était lors d’une présentation sur les résultats des recherches récentes sur l’état actuel des eaux souterraines: Problèmes de fluor et de certains polluants dans les eaux souterraines dans un atelier organisé le German Water Partnership et l’Association Africaine de l’Eau et de l’Assainissement.
Le Professeur Seyni Ndoye , enseignant-chercheur au département de génie civil de l’École Supérieure Polytechnique de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, tire la sonnette d’alarme : « La situation est un peu alarmante, surtout dans le bassin arachidier, où nous avons des taux de fluor très élevés dans l’aquifère du Paléocène, du Maestrichtien et de l’Éocène. Nos travaux, menés en 2019, ont révélé que les concentrations dépassaient largement les normes de l’OMS, avec une moyenne de 3,16 mg/L et des pics à 9,17 mg/L, alors que la norme pour les pays chauds comme le Sénégal est de 0,8 mg/L. » a fait savoir l’enseignant chercheur
Selon lui, ce phénomène est lié à la nature même des roches réservoirs. « C’est la composition géologique, notamment la présence d’apatite, de fluorine et de mica, qui serait responsable de la libération du fluor. Nos résultats montrent une corrélation positive entre la concentration en fluor et le pH, mais aussi avec les bicarbonates. En revanche, il existe une corrélation négative entre le fluor et le calcium, ce qui montre l’appauvrissement en calcium des eaux au contact de ces roches. »
Outre l’origine naturelle de la pollution, ses conséquences sanitaires sont déjà visibles.
« On observe sur le terrain des cas de fluorose dentaire — dents brunâtres — et on craint une évolution vers la fluorose osseuse. Près de 45 % des forages que nous avons échantillonnés dépassent les 3 mg/L. Nous sortons de la phase esthétique pour entrer dans une problématique de santé publique », alerte ce dernier
Face à cette menace, le professeur Ndoye insiste sur la nécessité de traiter les eaux et de ne pas délaisser la nappe : « Si on abandonne la nappe, l’eau stagnante sera en contact prolongé avec la roche, ce qui accentuera la dissolution du fluor. Au contraire, un pompage régulier pourrait permettre de réduire le temps de contact et donc la concentration en fluor. »
Du côté institutionnel, le ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement reconnaît la gravité du phénomène. Abdoulaye Cissé, hydrogéologue et chef de la division hydrogéologie à la Direction de la gestion et de la planification des ressources en eau, fait le point : « Le Sénégal dispose de ressources en eau souterraine et de surface. Les nappes souterraines assurent près de 80 % de l’alimentation en eau potable, mais elles sont de plus en plus confrontées à des problèmes de qualité : remontées salines, nitrates, pesticides, métaux lourds. »
Il ajoute que l’État œuvre à diversifier ses sources d’approvisionnement. « Nous avons environ 22 milliards de m³ d’eau de surface qui s’écoulent chaque année vers la mer. Ce sont des ressources renouvelables qu’on pourrait valoriser pour réduire la pression sur les nappes», rassure l’hydrogéologue
Sur la réglementation, il rappelle que toute exploitation de l’eau est encadrée. « Le Code de l’eau exige une autorisation préalable pour tout captage. Cette autorisation est délivrée après une étude technique menée par la police de l’eau. Elle tient compte de la disponibilité de la ressource, de sa qualité et de la présence d’autres usages, notamment pour l’eau potable. »
Concernant le fluor, il souligne son origine naturelle et l’ampleur du phénomène : « Le fluor est lié à la géologie, et cette bande s’étend du nord au sud du pays sur environ 200 km de large, traversant la nappe du Maestrichtien. Pour faire face, l’État identifie des champs captants de meilleure qualité et met en place des systèmes de transfert vers les zones touchées. »
Mais la solution de la défluorisation, souvent évoquée, reste difficile à mettre en œuvre. « C’est une technologie coûteuse, avec un entretien difficile et une maîtrise technique encore limitée. C’est pourquoi les transferts d’eau sont actuellement l’alternative la plus réaliste. »
Alors que les eaux fluorées continuent de poser un problème de santé publique dans plusieurs régions, les scientifiques et les autorités s’accordent à dire qu’il est urgent d’agir entre traitement, transfert et sensibilisation, pour éviter une catastrophe sanitaire silencieuse.
MOUSSA THIAM