
Alors que Donald Trump multiplie les attaques contre la communauté scientifique, entretien avec Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) au Laboratoire des sciences, du climat et de l’environnement.
Publié le : 15/04/2025 – 23:39

Près de 2 000 chercheurs américains ont lancé début avril un appel à l’aide pour la science face aux attaques de Donald Trump contre le monde académique et la production de connaissance. Fermeture de laboratoires, licenciements massifs, contrôle des champs de recherche… Les effets sont massifs. Mais ces attaques du président américain pourraient avoir des conséquences au-delà des États-Unis, prévient Valérie Masson-Delmotte.
RFI : Les attaques de l’administration Trump contre la science, les coupes budgétaires, les licenciements… Est-ce que cela a un impact sur la recherche en dehors des États-Unis ?
Valérie Masson-Delmotte : Oui, bien sûr. Il faut mesurer que la recherche américaine pèse pour environ un quart de la recherche sur le changement climatique dans le monde. Donc, le fait qu’il y ait moins de financements de thèses sur ces thématiques, qu’il y ait moins de financements de contrats pour de jeunes scientifiques, cela veut dire qu’il y a moins d’opportunités pour l’ensemble des jeunes scientifiques. En effet, dans leur parcours professionnel, ils vont souvent se former dans les meilleurs laboratoires aux États-Unis.
Autre exemple : la directrice du Centre européen de prévision météorologique rapporte qu’il y a déjà 10% de mesures atmosphériques opérées en moins par les services météorologiques publics américains. C’est autant de données en moins que peuvent utiliser les modèles de prévisions météorologiques européens et des autres régions du monde. Cela signifie donc une perte de qualité de la prévision météorologique partout.
Les échanges scientifiques sont également amoindris. Cela fait une trentaine d’années que je travaille sur le changement climatique. J’ai des relations professionnelles avec des collègues américains depuis très longtemps. Désormais, ceux qui sont fonctionnaires fédéraux ont l’interdiction d’échanger avec leurs collègues internationaux, donc je n’ai plus aucune réponse aux échanges professionnels que je pouvais avoir précédemment avec ces collègues américains.
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Concrètement, cela va avoir quel impact sur votre travail et celui de vos collègues français et européens ?
Pour l’instant, on peut continuer à s’appuyer sur les bases de données qui sont archivées aux États-Unis. Et on est très nombreux dans le monde à les utiliser. Mais on est très inquiets. Il y a une réflexion pour construire des sites miroirs, qui archivent et rendent accessibles ces données sur le climat actuel, les observations, les climats passés, de manière à permettre de continuer à les utiliser si jamais ces sites internet deviennent inaccessibles. C’est une très grande inquiétude.
Et puis au-delà de ça, il y a eu, notamment à l’Agence américaine des océans et de l’atmosphère, des licenciements à très grande échelle de jeunes scientifiques, de scientifiques qui venaient d’être promus, qui étaient en période probatoire. Par conséquent, des personnes qui contribuaient à l’avancée des connaissances ne sont plus là. C’est une perte sèche parce qu’il n’y a pas d’augmentation des recrutements à cette hauteur-là dans les autres régions du monde. Par ailleurs, l’équipe qui préparait les rapports nationaux aux États-Unis sur le changement climatique a été démantelée. Donc il n’y aura plus de rapport à l’échelle des États-Unis d’Amérique qui fasse un point sur les connaissances par rapport au changement climatique dans ce très grand pays. C’est aussi une perte sèche.
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Le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), dont vous avez coprésidé le groupe 1 de 2015 à 2023, synthétise les connaissances les plus récentes. Est-ce qu’à plus long terme, cela peut avoir un impact sur les travaux du Giec ?
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On ne sait pas quelle sera l’attitude de l’administration américaine par rapport à la contribution des chercheurs américains au rapport du Giec. L’American Geophysical Union, une société savante, a construit une alliance avec des universités, de sorte à pouvoir permettre de recueillir les candidatures et de les transmettre au Giec comme observateur extérieur. Ils n’auraient pas à passer par le canal habituel qu’on appelle le « point focal » qui fait le lien entre le gouvernement du pays et le Giec. Donc, on voit qu’il y a une organisation qui se met en place pour permettre aux scientifiques qui le souhaitent de continuer à contribuer. Ça montre la très grande inquiétude sur la capacité à maintenir ce type de diplomatie scientifique.
Des baisses brutales de budget pour les agences fédérales, la Nasa, la NOAA (Administration nationale des océans et de l’atmosphère), des coupes drastiques sur tous les programmes d’observation de la Terre, de l’océan, du changement climatique sont attendues. Cela peut avoir des effets considérables à long terme sur la capacité de recherche américaine. C’est une inquiétude très grande vu le rôle que joue la Nasa, vu le rôle que joue par exemple l’Agence américaine des océans et de l’atmosphère dans la surveillance de la Terre depuis l’espace ou bien dans le suivi océanographique au niveau mondial. Ils assurent quasiment la moitié de l’observation de l’océan dans le monde. On est aussi inquiet des coupes brutales de budget qui touchent les grandes universités de recherche sur le climat, par exemple, à l’université de Columbia. C’est l’une des premières universités au monde en termes de production de connaissances sur le changement climatique et les leviers d’action pour y faire face.
Est-ce que ce vide pourra être comblé par les autres pays ?
Je suis extrêmement inquiète. Je ne vois pas d’augmentation des budgets pour les différents secteurs touchés de plein fouet aux États-Unis : l’aide au développement, la recherche sur la santé, les maladies infectieuses, sur les inégalités sociales, sur le changement climatique, les sciences de la durabilité… On ne voit pas du tout, aujourd’hui, remonter les propositions de financement, de recrutement dans les autres régions du monde pour contrebalancer cette perte sèche. Certains peuvent y voir des opportunités de fuite des cerveaux inversés. Je pense que le deuxième très grand pays en termes d’efforts de recherche, la Chine, pourrait monter en puissance. Mais en tout cas, au niveau européen, je ne vois pas de sursaut à la hauteur de l’enjeu.