Burkina Faso: la mobilisation pour la défense de la patrie est possible sans chape de plomb

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(Rfi.fr)- Vous vous inquiétez de la trajectoire empruntée par le pouvoir au Burkina Faso, vous estimez que la mobilisation générale pour lutter contre les groupes armés terroristes peut se faire sans un anéantissement de l’espace de liberté et d’expression.

Non seulement cette mobilisation générale peut se faire sans acharnement sur les journalistes et les voix indépendantes mais la lutte contre les groupes armés qui terrorisent les populations serait plus efficace si toutes les catégories de la population, quelles que soient leurs fonctions professionnelles, leurs groupes ethniques, leurs zones géographiques d’origine, adhéraient à la stratégie du gouvernement.

L’un des derniers épisodes en date est celui de l’expulsion de deux journalistes françaises de Libération et du Monde, après la publication le 27 mars d’un article faisant état de la vidéo d’un meurtre de sept adolescents qui aurait eu lieu dans un camp militaire près de la ville de Ouahigouya. La vidéo est insoutenable. Après le média français, ce fut le tour de Associated Press, la plus influente agence de presse américaine, de publier un article détaillé sur le même drame qui retrace en particulier la journée d’un des jeunes garçons arrêté puis tué dans d’atroces conditions, à en croire la vidéo.

Alors oui, face à une vidéo de quelques minutes, la prudence s’impose dans un monde où la technologie permet des manipulations spectaculaires. Mais face à un tel cas, le gouvernement burkinabè ne devrait pas seulement répondre par l’expulsion des journalistes étrangers, le musellement des journalistes burkinabè et l’intimidation des animateurs des organisations de défense des droits humains. Il devrait promettre d’établir au plus vite la vérité sur cette affaire, pour dégager l’armée de toute responsabilité, ou au contraire pour identifier les soldats impliqués dans ce qui relèverait alors de crimes graves.

Vous dites qu’il est urgent pour les décideurs des pays ouest-africains de passer des messages au capitaine Traoré parce que le retour de la sécurité et la préservation de la cohésion nationale au Burkina Faso sont des impératifs pour la sécurité et la stabilité de tous les pays voisins.

Absolument. Les décideurs militaires et leurs alliés civils au Burkina Faso sont tout aussi désemparés que leurs concitoyens face à l’immensité du défi sécuritaire. Le rapport annuel sur le terrorisme dans le monde publié il y a quelques semaines classe le Burkina Faso au deuxième rang mondial des pays les plus touchés par le terrorisme dans le monde, juste derrière l’Afghanistan sur la base des données de 2022. Lorsqu’on ne considère que le nombre de morts résultant d’actes terroristes dans le monde, le Burkina Faso est au premier rang. La dégradation est spectaculaire. En 2011, le Burkina Faso était au 113e rang mondial.

Le pays est désemparé. La mobilisation générale pour sauver la patrie est légitime mais elle ne devrait pas signifier procès en haute trahison des journalistes et d’acteurs de la société civile qui font leur travail. Le capitaine Ibrahim Traoré est très vraisemblablement courageux, patriote et déterminé. Malheureusement, cela ne suffit pas pour garantir le succès dans la mission qu’il s’est donnée.

Alors il ne faut pas trop accabler les militaires qui se sont imposés à Ouagadougou comme à Bamako. Il faut leur passer des messages, encore et encore, les inciter à regarder en face les risques liés aux impasses sécuritaires, politiques et économiques qui se dessinent. Les dirigeants des pays voisins, Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Ghana notamment, sont légitimes pour le faire parce que la stabilisation du Burkina Faso est cruciale pour la sécurité et la stabilité chez eux.

Vous alertez une nouvelle fois sur le coût de la banalisation de la violence indiscriminée pour toute la région.

Oui, la violence gratuite contre des civils non armés, sa banalisation et sa justification par la lutte contre le terrorisme détruisent toutes les sociétés, profondément. La réalité aujourd’hui est celle de la violence verbale permanente, l’invasion des espaces de discussion sur le Sahel par les positions extrêmes, les outrances, le mépris pour les faits, les menaces contre tous ceux qui ne s’alignent pas totalement sur les positions des autorités et émettent des doutes sur des choix qui pourraient se révéler désastreux.

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